lundi 2 janvier 2012

Henri Lafont et la "Gestapo française" de la rue Lauriston

Henri Chamberlin dit Lafont en 1944
Henri Chamberlin (1902-1945), dit Henri Normand ou Henri Lafont, fut le patron de la "Gestapo française" de la rue Lauriston. 
Il figure dans plusieurs textes de Patrick Modiano. Cité notamment dans La Place de l’étoile, Henri Lafont se retrouve également sous les traits d’un des personnages importants de La Ronde de nuit, Le Khédive.

Orphelin de père à 11 ans, abandonné au même moment par sa mère de même que ses 5 frères et sœur, Henri Chamberlin connaît une enfance miséreuse. Il vit d’expédients, et se retrouve vite envoyé dans une maison de correction très dure, celle d’Eysses, à Villeneuve-sur-Lot. Après son service militaire, puis quelques petits boulots, il vole, et est envoyé en prison, puis au bagne de Cayenne. Il réussit à s’en évader.

Vers 1939, il obtient la concession d’un garage Simca à Paris, porte des Lilas, sous la fausse identité d’Henri Normand. Avec la guerre, il est cependant obligé de stopper cette activité, faute de clients. Il devient alors gérant du mess de la préfecture de police de Paris. Peu de temps auparavant, il avait en effet noué de bonnes relations avec la police, en offrant une Simca à l’Amicale de la préfecture de police, qui était venue quêter.

Un policier l’ayant reconnu, il est toutefois incarcéré en 1939 à la prison du Cherche-midi puis au camp de Cépoy, pour ne pas avoir répondu à l’ordre de mobilisation. Il s’évade lors d’un transfert, en compagnie de plusieurs autres prisonniers, dont deux espions allemands. Recherché par la police française, il se rapproche alors des autorités allemandes installées à Paris, en particulier le colonel Rudolph, patron de l’Abwehr, et ses deux adjoints : Hermann Brandl dit Otto et le capitaine Radecke.

Sous le nom de Lafont (Patrick Modiano orthographie Laffont), il met alors en place pour leur compte une officine chargée à la fois de s’approprier des richesses françaises, et de participer à l’espionnage allemand. Après plusieurs autres adresses, notamment l’avenue Pierre 1er de Serbie, ce bureau s’installe 93, rue Lauriston, dans le XVIème arrondissement. Il est parfois surnommé La Carlingue.
Entre un cinéma et un restaurant, La Carlingue est citée par le narrateur de Voyage de noces dans la "liste approximative de quelques endroits que nous fréquentions".

Codirigée par l’ancien policier Pierre Bonny, cette annexe de la Gestapo emploie une vingtaine de condamnés de droit commun libérés à la demande de Lafont : truands, hommes de main, proxénètes, etc. Parmi les membres de la bande, Louis Pagnon dit Eddy Pagnon, Charles Delval, Annie de Saint-Jaymes, Jo Attia, Abel Danos dit Le mammouth, etc. Le faux marquis Lionel de Wiett, Guy de Voisin, Jean Luchaire, sa fille Corinne et sa maîtresse Yvette Lebon fréquentent également les lieux…

Peu à peu, ce « bureau d’achat » très particulier se double d’un service de basse police, où la torture est monnaie courante. Une annexe située 3 bis place des Etats-Unis, et où s’installera plus spécialement Pierre Bonny, sera d’ailleurs en partie aménagée en prison.

"Ces criminels utilisaient les sévices corporels comme méthodes d’interrogatoire et profitaient de l’immunité que leur conférait leur ausweiss spécial et leur permis de port d’arme, pour commettre d’innombrables délits : vols au cours de perquisitions, fausses perquisitions au domiciles de personnes riches, chantages, trafics de toutes sortes. " (Jacques Delarue, Histoire de la Gestapo, Fayard 1962).
Plaque sur la façade du 93 rue Lauriston 
"A son zénith, « Monsieur Henri » roulera en Bentley, s’entourera d’orchidées et de comtesses, et ses derniers mois seront hantés de rêves mégalomaniaques caractérisés." (Pascal Ory, Les Collaborateurs, Le Seuil 1976).

Dénoncés par Joseph Joanovici, Henri Lafont, Pierre Bonny et six autres membres de la bande, dont Eddy Pagnon, sont condamnés à mort à la Libération et exécutés le 27 décembre 1944.

A lire aussi :
L’histoire de Raymond Monange dit « La soubrette », un gestapiste du 93 rue Lauriston, racontée par son neveu.

9 commentaires:

  1. La misère est la source de biens d'abus sans raison ni justification.
    La mémoire humaine est souvent bien courte. Son oublie en Histoire de France ou ailleurs est une faute trés grave.

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  6. À celles et ceux qui s’intéressent à cette adresse, je me permets de signaler un article, en anglais, que je viens de faire paraître sur le rôle de la rue Lauriston dans l’œuvre de Patrick Modiano : ‘Street names in Patrick Modiano’s work : La Place de l’étoile and the case of rue Lauriston’ in Neohelicon (février 2017). L’article est accessible en ligne à l’adresse suivante : http://link.springer.com/article/10.1007/s11059-017-0364-2

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